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الجمعة، 18 يونيو 2010

Les Chiites Saoudiens

Problèmes de citoyenneté dans les conditions de changement.
Dr Toufiq Sayf

L’histoire des Chiites Saoudiens est la même que celle des Kurdes de l’Iraq et de la Syrie, les Sunnites de l’Iran, les Chrétiens du sud du Soudan, les Amazighs de l’Algérie, les Arméniens de la Turquie, c’est la même histoire de toutes les minorités religieuses ou ethniques qui vivent au Moyen Orient. Au temps où le monde se dirige vers la consécration de la citoyenneté comme fondement de toute relation entre état et société, la présence d’une minorité qui vive côte a côte avec la majorité, reste aux yeux de l’état et de la culture politique dominante dans cette région, un fardeau sécuritaire et politique, et on continue à la traiter comme un problème délicat chargé de soupçons et de doutes.
Il n’y a aucune statistique qui peut donner le nombre exact des chiites saoudien, mais nous tendons à les estimer d’à peu près 17-20% des citoyens du royaume. Les sources officielles donnent le pourcentage d’à peu près 10%, soit 1,75 million dont les 2/3 vivent dans la région Est du pays et se repartissent sur les 4 provinces principales, qui sont : Qatif, Ihsa’, Dammam, et Khobar. Les chiites représentent la majorité de la population de Najran au sud du royaume. On les trouve aussi à la Médine et ses villages, et des milliers se trouvent dans les grandes villes comme Jeddah et Riyad. Le système tribal reste dominant à Najran et il y a une relation très serrée entre les chefs de la tribu Yam qui forme la majorité des habitants de cette province, et la chefferie religieuse de la famille Makrami…Tandis que dans la région Est la tribu n’existe même pas.
Tous les chiites de Najran appartiennent à la secte Ismaélite, tandis que les autres sont Duodécimains dont la plupart suivent l’école de Fiqh fondamentaliste ; une petite minorité appartient à l’école Ikhbari. Mais du point de vue doctrinal, une grande partie des chiites de l’Ihsa’ suivent l’école Sheykhi. Le courant dominant chez les chiites saoudiens est le courant religieux traditionaliste ; mais le courant réformiste possède une implantation non négligeable, et il est en expansion bien notable, grâce au rôle des nouvelles générations qui tendent vers un mode de vie qui juxtapose religiosité et libéralisme, ceci le rendant plus proche aux courants conservateurs en Europe. Les Ikhbari ont pour chef religieux local un certain Cheikh Mohammad Ali AbulMakarem.Tandis que les Sheykhi suivent le Mirza Abdallah Ihqaqi, chef de cette école vivant au Kuwait. La direction religieuse des fondamentalistes est diversifiée : 70% imitent l’Ayatollah Sistani au Nadjaf-Iraq, et l’Ayatollah Shirazi à Qom-Iran, et le reste se repartissent entre 7 autres marja’s.
La relation entre les chiites saoudiens et leurs marja’s qui vivent à l’extérieur est purement spirituelle ; ceux-ci n’ont jamais essayer de jouer un rôle quelconque ou de développer leur relation avec leurs sujets, ce qui a fait que cette relation soit restée quasiment unilatérale. La seule exception peut-être est celle qui s’est passée en 2009 quand quelques marja’s comme Makarem Chirazi et Sistani ont prononcé des discours appelant les chiites du golfe et de l’Arabie à améliorer leurs relations avec leur concitoyens sunnites et à éviter tout conflit sectaire. Par contre les chefs religieux locaux ont une grande influence sur la population ; quelques uns jouent même des rôles politiques, sociaux, et culturels, à grande envergure.Le gouvernement traite même avec quelques uns d’eux comme s’ils étaient les représentants naturels des citoyens chiites.
L’agriculture formait l’activité économique principale au Najran, Ihsa’, et Qatif ; mais son importance baisse rapidement, vu les transformations économiques du pays. La force travailleuse dans le secteur agricole est formée aujourd’hui d’une façon quasi-totale des grands d’âge et d’étrangers. Les jeunes préfèrent travailler dans le secteur public de l’état ou dans les grandes firmes. La plupart des jeunes du Najran et de la Médine émigrent vers les grandes villes (comme Jeddah, Riyad et Dammam) pour trouver du travail. Plus que 40000 familles ont quitté Ihsa’ vers Dammam et Khobar pour la même raison. Mais ce phénomène de migration est presque inexistant à Qatif, car la plupart de ses habitants préfèrent travailler dans les villes avoisinantes. Ceci revient partiellement au fait de la possibilité de compétition et de chances de travail dans cette région, grâce au secteur pétrolier et industriel ainsi qu’au niveau d’éducation élevé. Du point de vue niveau de vie Najran et Ihsa’ sont classées parmi les régions pauvres ou plutôt conformes au niveau de vie moyen des régions rurales, qui est un peu inférieur évidemment du niveau de vie général dans le royaume. Tandis que la majorité de la population de Qatif est classée parmi les classes moyennes et son niveau de vie un peu supérieur à la moyenne nationale. Cette région a su profiter de sa chance pendant la période de transfert de l’économie saoudienne d’une économie exclusivement agricole et pastorale vers une économie pétrolière et de services, tandis que les autres régions rurales ont souffert de l’effondrissement de leurs sources de vie en un temps où le transfert vers l’économie moderne n’était pas facilement accessible.
La région de l’Est qui renferme une majorité chiite est le plus grand réservoir pétrolier naturel dans le monde car 22% des réserves pétrolières fixes se trouvent dans cette région qui produit 98% du pétrole du royaume, et fournit 12% des imports américains du pétrole et les 2/3 des imports japonais. Si on ajoute la production industrielle concentrée dans l’Est, cette région fournit à peu près 90% des revenus extérieurs du royaume, et la part directe de son pétrole dans le PNB arrive jusqu'à 40%.
Pour ces raisons cette région tient une place exceptionnelle dans le système de l’économie et de la sécurité nationale. Mais c’est aussi la cause de ses malheurs. L’élite politique croit fermement que la présence de la source principale des richesses du pays dans une région contrôlée par une « communauté différente » est une source sérieuse d’inquiétude ; et ceci se traduit généralement par une réflexion policière sur les affaires des chiites et sur les relations à entretenir avec eux. Mais ce n’est pas seulement le pétrole qui soit source de malheur car les régions peuplées par les chiites sont classées, symboliquement au moins, comme régions périphériques, dans un pays caractérisé par une centralisation très ferme. La majorité de l’élite politique du pays provient de Najd, surtout des régions de Riyad et Qacim ; vient après, et avec un large écart, le Hijaz, et précisément la Mecque et la Médine. Le gouvernement central signifie dans le royaume saoudien que tout ce qui relève des dépenses de l’état, de la nomination des fonctionnaires de l’état, de la décision des projets de développement, se décide dans la capitale. Pour cela il n’existe pas de vie politique (dans le vrai sens du terme) en dehors de la capitale, car les thèmes de la politique et de l’action politique se limitent aux bords de la capitale.

Les Rapports entre les Chiites et le Gouvernement
Les rapports du gouvernement saoudien avec ses citoyens chiites se sont améliorés sensiblement durant les deux dernières décennies. Mais la politique de ségrégation reste fortement ancrée dans le système politique et social du pays. Les rapports n’étaient pas bons dans le passé. Ce n’est pas suite à la prise du pouvoir par les chiites en Iraq en 2003, ni avec la révolution islamique en Iran en 1979, qu’ils se sont détériorés, comme certains analystes le pensent. La politique de discrimination confessionnelle revient à une période bien plus antérieure. Des chercheurs américains qui ont visité la région l’ont observé et ont écrit des récits, comme celui de Georges Liepski qui a publié son livre en 1959.
Les chiites souffrent d’une politique officielle de discrimination bien qu’elle soit non affirmée. Elle consiste dans le dénigrement de leurs droits primaires comme le droit de culte et de croyance et le droit d’expression et de publication, ainsi que des droits civils comme la participation aux fonctions publiques dans les cadres moyens et supérieurs. Depuis la création du royaume en 1932 et jusqu'à aujourd’hui les chiites ne peuvent pas accéder aux postes supérieurs : un seul a pu arriver au poste de directeur de cabinet adjoint dans un ministère, puis à celui d’ambassadeur. Dans le conseil de la région Est formé de quatorze membres nommés par le gouvernement, un seul chiite y siège, bien que les chiites forment les 2/3 des habitants de cette région. Dans le conseil de la Shoura (une sorte de parlement dont les membres sont nommés par le roi) il y a cinq chiites sur un total de 150. En Février 2009 le roi a reconstitué l’association des grands ulémas responsable des affaires religieuses en y ajoutant 3 ulémas représentant les sectes Malékite, Hanafite, et Chaféite, en plus des 18 représentant l’école officielle, excluant les chiites de ce conseil. La discrimination ne se limite pas aux postes supérieurs, car dans beaucoup de postes administratifs les chiites sont interdits. Depuis 1960 aucun chiite n’a été nommé comme président d’une municipalité. Le ministère de l’éducation n’accepte aucune femme chiite comme directrice d’école pour filles (une seule a été nommée dernièrement en 2009). Le ministère n’a pas permis l’ouverture d’écoles privées pour filles dans les régions chiites. Le ministère de l’éducation supérieure ne permet pas la nomination d’enseignants chiites dans des universités précises comme celle de l’Imam Mohammad Ibn Saoud, l’Université Islamique de la Médine, et l’Université Oum al Qura à la Mecque. Sur 30 universités groupant plus de 100 facultés un seul chiite a pu arriver au poste de doyen dans la faculté de « petroluim engeneering » de l’université du roi Fahd à Zahran. Le ministère des affaires étrangères, quant à lui, ne permet pas de recruter des chiites dans son cadre diplomatique. Cette discrimination s’étend sur toutes les institutions semi gouvernementales et toutes les grandes compagnies gouvernementales, et même la plupart de celles où le gouvernement possède une part. Le cas de la compagnie Aramco – à certains niveaux- peut être une exception à cette règle, car ses fonctionnaires chiites ont pu atteindre le poste de vice-président, c.a.d. ce qui équivaut au troisième degré au sommet de la pyramide. La compagnie a même présenté un de ces chiites au poste de responsable de l’Université du roi Abdallah dont elle tient la supervision. Après que celui-ci eut bien réussi dans sa mission, il a été nommé vice-président de la compagnie pour les affaires académiques.

Les conditions du changement social et ses problématiques
Le nombre des problèmes internes auxquels le gouvernement saoudien fait face peut nous pousser au pessimisme. Mais notre optimisme tient au fait que la plupart de ces problèmes sont des résultats latéraux de la politique de développement, ou bien qu’ils se sont aggravés dans le contexte de la liquidation du système social traditionnel au profit d’un système nouveau plus moderne. On peut dire que la nouvelle étape dans la polémique entre la minorité chiite et le gouvernement ressemble à tous les conflits qui se sont aggravés dans la société saoudienne après que le gouvernement ait décidé d’exploiter les revenus pétroliers dans la modernisation de l’économie.
En 1971 le gouvernement a adopté le premier plan de développement économique dans le cadre d’une série de plans à court terme, de cinq ans chacun, et qui visaient à activer son économie et à développer son appareil administratif. Le principal motif derrière cette concentration sur l’économie et l’administration provenait de ce que les planificateurs croyaient fermement à la théorie classique de développement qui dit que l’activité économique est un moteur efficace de changement dans tous les secteurs de la vie, depuis le mode de vie jusqu’aux valeurs normatives et aux systèmes de relations sociales. Mais les rendements politiques et culturels de la modernisation de l’économie n’était pas clairs aux yeux de ceux qui tenaient les décisions politiques (qui n’étaient pas les mêmes que ceux qui planifiaient le développement), et ces rendements n’étaient pas pour autant les bienvenus.
Durant les quarante ans passés depuis le premier plan de développement la face du royaume a totalement changé. Le pays désertique pauvre est devenu aujourd’hui l’une des plus grandes économies en expansion au Moyen Orient, et la plus ouverte aux techniques nouvelles. L’effet de ce développement se remarque surtout dans le secteur de l’éducation où le nombre des élèves a doublé de 10 fois dans les trois premiers cycles avant l’université (de 0,474 millions a 4,02) entre 1970 et 2007.Ce développent s’est directement répercuté sur la culture générale et les modes de vie. Le taux de sédentarisation a atteint 83% de celui des habitants en 2004 tandis qu’il était 30% en 1970. Un chercheur a estimé à 89% le nombre des saoudiens ayant accès aux sources d’information par satellites. Ceci signifie que toute maison saoudienne possède aujourd’hui d’un moyen de réception de chaîne télévisée par satellite dont la plupart ne sont pas sujettes à la censure. Dans toutes les sociétés, pareils changements aboutissent a un développement dans les identités individuelles et le statu social et les aspirations, et ceci aboutit nécessairement à la naissance de nouvelles demandes et de nouveaux équilibres entre forces sociales différentes, et de nouveaux modes de culture et d’expression culturelle non connues auparavant. Ce qui se reflète surtout sur les relations entre les individus et les groupes d’une part, et les centres du pouvoir d’autre part. Les gens commencent à appréhender plus leur individualité et leurs particularités et tout ce qui fait leur spécificité, et ils commencent à réclamer plus de reconnaissance de ces « droits » de la part de la société nationale et de l’état. Ceci s’est passé dans chaque village et ville saoudienne. Mais la réaction officielle n’était pas conforme ou adéquate. Et dans la plupart des cas où il y a eu réaction positive, la réaction gouvernementale était très limitée et en retard. Le cas le plus connu est celui de la promulgation de la loi de constitution du conseil de Shoura et du gouvernement décentralisé en1992, malgré qu’il a été proposé depuis 1964. Autre exemple est celui de la loi sur les associations communautaires qui reste emprisonné dans les tiroirs bien qu’il a été promulgué par le conseil de Shoura et que le débat à son sujet remonte à plus d’une décennie.
La réticence du pouvoir politique à affronter les changements survenus dans la société et la culture générale, revient partiellement à son inquiétude vis-à-vis le principe de limitation des pouvoirs, ou de l’élargissement du cercle de participation populaire, ou de mettre ce pouvoir sous surveillance publique. Il faut ajouter aussi la résistance entamée par l’institution religieuse traditionnelle contre le principe de modernisation sous toutes ses formes, et la pression exercée par celle-ci sur l’état pour se conformer aux traditions et coutumes héritées et qui sont décrites comme plus représentatives de la pureté de l’Islam. Les religieux pensent que les transformations mentionnées font parti d’un complot soutenu par l’Occident et quelques dirigeants locaux pour imposer un mode de vie laïc qui conduirait sans doute à la marginalisation de la religion et des religieux des postes d’influence et de pouvoir.
En économie, le gouvernement a totalement évité les pressions de l’institution religieuse et a continué son chemin de modernisation même dans les domaines qui suscitent la rage des religieux. Quant à l’ouverture dans les domaines culturels et de la réforme politique et juridique, le gouvernement a pris ces pressions comme prétexte pour résister aux demandes sociales. Il a même utilisé les religieux et les grands ulémas dans sa résistance directe à ces demandes, et ceci par le biais des Fatwas, des sermons de la prière du Vendredi, et des programmes religieux de tout bord. Mais cette tactique a jeté l’état dans des problèmes internes et avec d’autres pays. Car les religieux Wahhabites qui sont devenus plus puissants au temps du roi Fahd, sont ceux qui entravent aujourd’hui les tentatives du gouvernement à diminuer l’exclusion imposée aux femmes, et à réformer le système judiciaire et celui de l’éducation. Ils entravent aussi les tentatives gouvernementales à présenter sous une image nouvelle du royaume, image de tolérance et de paix, après les attaques du 11 Septembre qui ont nui à cette image et ont teint le royaume de couleurs de violence et d’extrémisme, ce qui a nui à ses relations avec les Etats Unis et l’Europe.
Nous vivons donc une situation transitoire, inaugurée en 1971, et qui devait finir il y a un ou deux décennies. Cette situation a donc perdurée plus que prévu et va peut-être durer encore, tout en témoignant d’un conflit dur entre deux forces : d’une part les nouvelles classes sociales qui réclament une position qui reflète leur valeur réelle et leur part dans les affaires du pays et son économie ; et d’autre part les classes traditionnelles qui regroupent l’élite politique et les grands religieux ; ces deux parties ont en commun une inquiétude grandissante vis-à-vis la modernisation et les transformations sociales et leurs effets sur leur pouvoir illimité.
Dans la tourmente de ces transformations, la nouvelle génération des chiites saoudiens a pu développer une identité différente qui est moins influencée par l’héritage sectaire et religieux, et plus sensible aux problèmes de la Patrie et à leur présence active et participative dans ses affaires, ainsi q’aux changements du monde nouveau dans les domaines scientifiques, techniques, et philosophiques. L’empressement des jeunes chiites à l’étude des sciences nouvelles est un signe révélateur important dans ce sens. Au temps où 67% des étudiants dans les universités saoudiennes s’orientent vers les sciences humaines et sociales, moins que 47% le font dans la province de Qatif. Jusqu’aux années 90, le principal slogan des réclamations chiites, était les libertés religieuses .Cette demande est passée au second, même troisième et quatrième plan dans les dernières années, en faveur de l’égalité, la liberté d’expression, et la participation politique. Ceci est bien remarqué dans la nature des professions qu’ils préfèrent, et dans l’expansion remarquable de leurs activités culturelles et politiques, surtout ceux centrés sur les droits de l’homme.
Les religieux wahhabites ont vu le développement dans la situation des chiites comme un signe de danger ; surtout que les événements régionaux profitaient aux chiites avec la montée en force de l’Iran dans la région, la consolidation du Hezbollah au Liban, et enfin de compte, l’hégémonie chiite en Iraq qui était considéré avant une force sunnite ou du moins une force opposée à l’expansion chiite. On a même entendu quelques uns de ces religieux dire que la permission donnée à un parti chiite (al-wifaq) pour participer aux élections parlementaires au Bahreïn en 2006, puis la réussite de ce parti avec le plus grand bloc parlementaire, était une preuve qui donnait justesse aux inquiétudes concernant l’existence d’un complot chiite visant à utiliser les nouvelles reformes pour mettre la main sur les centres de pouvoir qui étaient restés longtemps entre les mains des sunnites.
Nombreux sont parmi ces religieux qui pensent que le gouvernement saoudien est la seule force capable de contrecarrer les visées chiites. Pour cela ils étaient prêts à entrer dans des compromis donnant leur soutien au gouvernement face aux extrémistes et à la violence religieuse, et à se taire sur les politiques de modernisation , contre quoi le gouvernement prenne des positions dures face aux chiites et qu’il refuse leurs demandes.
Selon mes informations les hommes d’état se tiennent à mi-chemin entre les deux, car d’un côté ils refusent de faire plus de pressions sur les chiites, et de l’autre ils ne sont pas prêts à faire aucun mouvement envers les chiites pour ne pas être accusés de présenter plus de concessions à ceux-ci ou de leur donner plus d’avantages.

Les problématiques d’un renoncement à l’ancien état
Sur un niveau purement théorique, il est préférable que le gouvernement puisse mobiliser la loyauté des classes nouvelles pour élargir sa base sociale et consolider la stabilité, l’ordre public et la force de la loi. Ceci peut être réalisé dans le cadre d’une stratégie générale de réforme de la loi et de l’organisation politique et de l’administration publique. Mais cette préférence théorique ne parait pas plaire aux élites au pouvoir, et ceci pour des facteurs culturels et politiques. Le système politique saoudien est classé parmi les systèmes traditionnels arabes ; la philosophie du pouvoir ici est celle de l’état antique qui donnait à une minorité restreinte, un pouvoir absolu et le monopole des sources de force3 et de décision. Ceci apparaît le mieux dans la façon avec laquelle le conseil des ministres est formé depuis sa création en 1953 et jusqu'à aujourd’hui. Dans le conseil actuel par exemple, constitué de 28 ministres, 20 sièges vont à des ministres de la région centrale (Najd), dont 5 émirs, et 4 sièges au Hijaz. La région centrale constitue seulement 27% du nombre des saoudiens (en 2004).
Le pays reste très éloigné d’être un état de contrat social, de droits égaux, de constitution et de citoyenneté. Au lieu d’une constitution on a un document paru en 1992 seulement, appelé « Règles Fondamentales de Gouvernement », qui ne mentionne que rarement les droits des citoyens, et donne par contre des pouvoirs absolus au roi sans le tenir sous comptabilité ou responsable. Il n’y a pas un parlement représentant le peuple, mais un conseil de Shoura dont les membres sont désignés par le roi, et qui n’a aucun pouvoir de comptabilité ou de décision ou de législation ou même de contrôle et d’inspection, de surcroît nommer ou destituer un responsable politique.
Depuis la fondation du royaume, Il n’existe aucune déclaration officielle des hauts responsables, aucun document officiel, qui peuvent renvoyer à l’idée de pacte ou de contrat entre état et société. Les « Règles » ne considèrent pas le peuple, ou au moins son consentement, comme source de pouvoir, et lui nie tout droit au contrôle et à la comptabilité. Les membres de la Shoura ne sont pas représentants de leurs régions. Le gouvernement ne reconnaît pas officiellement l’existence de minorités ayant des droits, et ne reconnaît pas encore l’existence de diversité religieuse ou ethnique qui nécessite des garanties judiciaires.
Le roi Abdallah avait affirmé en plusieurs occasions son souci de combler le fossé entre les diverses constituantes de la société saoudienne. Il a affirmé aussi sa gêne de voir que cette diversité soit source de discrimination. L’émir Sultan a émis les mêmes réserves, et avant eux le roi Fahd. Mais ces expressions ne se sont pas développées pour devenir des lois et des décrets et des institutions contre la discrimination, surtout envers les trois groupes les plus discriminés sont les chiites, les femmes, et les saoudiens d’origine africaine.
Le royaume d’Arabie saoudite a ratifié la plupart des accords et pactes internationaux concernant les droits de l’homme mais n’a pas pourvu les moyens légaux et administratifs pour mettre ces lois en application concrète, voire même que les quelques lois locales qui protègent les droits civils et personnels ne sont jamais appliquées pour diverses raisons. L’association nationale des droits de l’homme (ANDH) semi gouvernementale s’est même plainte dans son rapport annuel de 2008 que plusieurs ministères et institutions gouvernementales ne répondent jamais à leurs questions ou lettres, et ceci malgré les ordres officiels royales. Mais même cette association, et son homologue gouvernemental (l’association des droits de l’homme ADH)), ont négligé totalement les rapports concernant la discrimination.
Donc, la discrimination confessionnelle envers les chiites est une partie intégrale d’un problème plus large qui consiste d’une part en la négligence des rendements sociaux et culturels de la modernisation de l’économie et de l’administration, et d’autre part dans l’attachement de l’élite politique au vieux système d’état qui ne donne pas place à la société pour s’exprimer librement ou pour participer dans la prise de décisions.

L’absence de confiance entre chiites et gouvernement
Depuis l’avènement de la révolution iranienne en 1979 le manque de confiance est devenu apparent comme un des facteurs qui poussent les rapports entre chiites et gouvernement vers le conflit. Les chiites ont demandé un dialogue depuis 1996, mais le gouvernement ne veut pas poser ce problème et le discuter avec l’élite chiite. Je suis arrivé à cette conclusion après l’échec de plusieurs tentatives qui paraissaient au début avoir l’accord des deux partis sur la nécessité et l’importance de pareil dialogue. J’ai entendu cette même explication directement et franchement de la bouche de plusieurs hauts responsables dans les cercles de prise de décision. Il y a eu et il y a toujours des contacts et des communications qui se continuent sur plusieurs niveaux pour arriver à des ententes et accords de resolutio9n de conflits qui s’aggravent quelques fois. Mais on est loin d’arriver à un accord sur une stratégie d’action commune applicable sur les plans judiciaires et institutionnels en vue de restituer aux chiites leurs droits inaliénables, et finir avec la situation exceptionnelle dans laquelle ils vivent depuis la fondation du royaume.
L’absence ou le manque de confiance a plusieurs causes religieuses et politiques :
1= Les luttes sectaires : le conflit sectaire entre écoles est la source fondamentale de ce manque de confiance. L’école officielle du pays est celle du Cheikh Mohammad Ibn Abdel Wahhab (1703-1792) qui prône un sectarisme dur en Fiqh, et concentre sa théologie sur la réfutation de toute religiosité populaire qui a tendance à concrétiser la foi en des apparences humaines ou personnifiées. Le devoir de l’état selon les disciples du Wahhabisme doit consister en la poursuite de purification de la religion de toutes croyances populaires et apparences ou phénomènes contraires è la religion vraie dans la société. C’est le critère sine qua none de la légitimité de l’état, et de son droit à l’allégeance du public. Cette responsabilité incombe en plus à la personne du gouverneur et non pas à l’institution qui est l’état. En acceptant de la remplir, le gouverneur sera doté de pouvoirs absolus en toutes les affaires sans avoir à être questionné ou rendu comptable par le public.
Sur le plan social la secte Wahhabi et sa structure sociale se distinguent par une grande mobilité car les membres sont tenus de faire la Da’wa (ou la mission d’appel à l’Islam). D’autre part le fait que cette école soit celle officielle de l’état, se traduit par une chance qui s’ajoute aux responsabilités des individus dans sa propagation et la guerre contre ses opposants. L’élite politique voit le Mazhab comme moyen efficace pour défendre l’état et consolider sa société (Najd) face aux oppositions. Les religieux voient dans leur alliance avec l’état un moyen d’exploitation de ses ressources dans la propagation de leur foi et leur mazhab.
Ceci a été utilisé au dix neuvième siècle et les débuts du vingtième, dans les guerres internes et contre les ottomans, qui ont abouti à la création du royaume en 1932. Mais aujourd’hui c’est la lutte contre les chiites et les soufis (qui représentent une grande partie des habitants du Hijaz), ainsi que contre les classes accusées d’être laïques, qui mobilise l’action quotidienne des religieux et des militants du Wahhabisme. Ceci est même devenu un point fort dans leur programme de mobilisation des masses populaires pour faire pression sur le gouvernement et sur les instances politiques et religieuses du pays. Ils ont réussi à former des petits groupes de pression pour faire face aux politiques gouvernementales ou populaires nommées « libérales » selon eux. Ils ont réussi dans plusieurs cas malgré la résistance déployé quelques fois par le gouvernement.
L’influence de ces groupes apparaît surtout dans les causes qui relèvent des femmes et des chiites. Citons ici leur réussite à maintenir l’interdiction aux femmes de conduire ou l’abrogation de la loi qui permettait aux femmes de travailler dans les magasins de vente d’habits pour femmes et dans plusieurs autres professions qui nécessitent le contact avec des hommes. Durant les dernières cinq années, au moins trois ministres ont perdu leur poste parce qu’ils ont échoué à neutraliser ces groupes de pression, comme le cas des deux ministres de l’éducation (Mohammad Al Rachid et Abdallah Al Obeid), et du ministre de l’information (Iyyad Madani). En 1995 le gouverneur de la région Est s’est retourné sur sa décision de permettre aux chiites d’avoir une mosquée dans un de leurs quartiers, et ceci sous la pression de ces groupes. Cette mosquée financée par l’état, aurait été une première dans les relations entre le gouvernement et les chiites qui n’ont eu aucune mosquée du nombre des 60000 financées par l’argent public. En 2009 le ministre de l’intérieur a décidé d’interdire aux chiites la tenue de manifestations ou de regroupements religieux ou de bâtir des établissements pouvant servir pour cette cause dans les villes où ils ne sont pas majoritaires.
La liste est longue mais disons pour conclure que les Wahhabites voient les chiites comme étant des hérétiques et des mécréants et pour ce ils les poursuivent même dans les postes de l’administration publique ou privée en envoyant des rapports aux hauts responsables religieux et politiques pour leur expliquer le danger que représente la présence de ces citoyens chiites dans des postes qui leur permettent d’avoir une influence quelconque même minime. Le document intitulé «Lettre concernant la situation des Rafida dans le pays du Tawhid » (publié par le cheikh Nasser Al Omar, en Mai 1993), représente le manifeste d’action des groupes de pression wahhabites dans ce domaine. Cette lettre énumère les secteurs où les chiites ont une quelconque présence pour dire qu’ils suivent un plan élaboré en vue d’établir un état chiite en accord avec les Mages de Téhéran. La lettre précise neuf suggestions détaillées pour traiter avec les chiites, comme la destruction de tous leurs établissements religieux, la mise en résidence surveillée de leurs chefs religieux, l’interdiction à tout chiite de tenir une position qui peut influencer les autres surtout dans l’éducation, l’information, le droit, les forces armées et les finances…etc.…
2= L’indépendance de l’institution religieuse : Depuis longtemps les chiites ont conservé une tradition d’indépendance de leur vie religieuse en dehors de leurs relations avec l’état, même sous des gouvernements chiites, comme c’était le cas avec l’état Safavide en Iran, en Iraq, et dans tous les pays. Cette tradition se continue même aujourd’hui en Iran contemporain qui est gouverné par des religieux chiites. Ce sont surtout les marja’s chiites qui conservent une distance claire avec les gouvernements. A l’exception de l’Imam Khomeiny qui a profité d’un statut extraordinaire, tous le marja’s qui se sont beaucoup rapprochés des gouvernements ont perdu leur popularité et leur chance de devenir un marja’ influent, parmi eux citons Khamenei le guide actuel de la révolution iranienne. Dans ce contexte aussi les chiites tendent à maintenir leurs écoles religieuses, leurs mosquées, et toutes leurs institutions religieuses, à l’écart de l’intervention de l’état. Cette tradition qui se perpétue dans tous les pays est source de méfiance du gouvernement saoudien envers les intentions de ses citoyens chiites. Notons ici que le gouvernement saoudien ne s’est jamais montré tolérant avec tous les groupes religieux qui ont essayé d’être indépendants, même avec l’establishment wahhabite, lorsque son leader fort le cheikh Mohammad Ibn Ibrahim Al Cheikh (1893-1969) qui a essayé de pratiquer une ligne de conduite indépendante et a été emmené par le roi Faysal (arrivé au pouvoir en 1964) à y renoncer. Depuis le début des années 70, le gouvernement a pris des dispositions pour liquider toute activité non gouvernementale qui pourrait aboutir à la formation d’un centre d’influence ou de force en dehors du cadre officiel. Les activités religieuses ont été les plus touchées à cet égard. Durant les trois dernières décennies le gouvernement a accompli son contrôle sur les écoles religieuses, les mosquées et les biens de main morte, et a obligé tous les prêcheurs ou prédicateurs à s’inscrire dans le cadre officiel de cette fonction. Au début de l’an 2002 le ministère de l’intérieur a interdit aux associations religieuses et de3 bienfaisance, dirigées par des religieux, de collecter des donations du public. En Juillet 2007 le ministère a interdit au comité de « l’ordonnance du bien et l’interdiction du mal » de recruter des volontaires qui formaient la majeure partie de ses effectifs. Le gouvernement a essayé de faire de même avec les activités religieuses chiites mais a été repoussée d’une violence négative ferme, et ceci pour plusieurs raisons, comme les traditions chiites spécifiques dans ce domaine, et la faillite du gouvernement à trouver un encadrement capable de s’ouvrir aux autres sectes non officiels. Les dirigeants chiites ont envoyé en 1998 plusieurs propositions au ministre de la justice de l’époque (le cheikh Abdallah Al Cheikh) pour remédier à cette inconvenance, mais n’ont pas été entendu.
Bref, la présence d’un homme religieux chiite en dehors du contrôle du gouvernement, pose aux responsables un dilemme, enrichit les inquiétudes et soupçons quant à la nature des activités chiites et de leurs conséquences. C’est surtout la question des rapports que les chiites entretiennent avec leurs marja’s qui vivent à l’extérieur et auxquels ils envoient leur Zakat et leurs dons, qui est toujours posée par les responsables saoudiens quand ils rencontrent des chefs de la communauté chiite, leur rappelant que ceci est appréhendé comme portant atteinte à la souveraineté du pays et à la loyauté des citoyens chiites envers leur gouvernement national. Les chefs chiites ont beau affirmer que ces rapports sont purement d’ordre spirituel ; mais la passivité du public chiite à l’égard du gouvernement et de ses institutions politiques, est prise comme preuve que leurs rapports avec les marja’s dépasse sa dimension religieuse.
3= l’inquiétude vis-à-vis l’expansion iranienne : C’est le président égyptien qui a lancé le premier ce tourbillon quand il a proclamé en Avril 2006 que la loyauté des chiites arabes est envers l’Iran et non pas envers leurs pays. Ceci a dévoilé, malgré les tentatives égyptiennes ultérieures de minimiser la portée de ces déclarations, les soupçons et inquiétudes réelles qui hantent les dirigeants arabes à propos des relations entre chiites arabes et iraniens. Le roi Abdallah de Jordanie avait déjà déclaré en Décembre 2004 que la montée de la puissance chiite menace de créer un « croissant chiite » qui s’étendra de l’Iran jusqu’au Liban. Il a même mis en garde les pays du Golfe et de l’Arabie Saoudite qu’ils sont visés par ce croissant car les communautés chiites qui vivent dans ces pays sont partie prenante dans ce complot qui va aboutir à la déstabilisation de l’équilibre politique entre chiites et sunnites au moyen orient. Le cheikh Safar Al Hawali qui est le principal politicien parmi les religieux wahhabites a exprimé de manière plus détaillée les mêmes avertissements dans un livre publié en 1991, dans lequel il met les ulémas contre un complot américain visant à l’hégémonie chiite sur tout le monde musulman, en passant par le démembrement du royaume saoudien et la liquidation du wahhabisme.
Depuis le triomphe de la révolution iranienne, un nouveau devoir a été ajouté à ceux que les chiites saoudiens sont obligés de rendre : nier jour et nuit tout rapport avec l’Iran. Dans chaque crise politique, même si le royaume n’y soit pas impliqué, les dirigeants s’attendent à entendre les déclarations des chefs chiites insistants sur leur loyauté envers le gouvernement et leur refus des politiques iraniennes. Et à chaque fois qu’un chiite quelconque émette une opinion qui soit favorable à l’Iran ou aux chiites du monde, les chefs de la communauté chiite saoudienne devaient présenter une explication ou une condamnation ou des excuses. Mais la question ne s’arrête pas là. Le soupçon et le doute, concernant la loyauté des chiites, les poursuivent depuis pas seulement les trente dernières années mais depuis plus de cent ans, bien qu’il n’y ait jamais eu une seule preuve à l’appui pour les confirmer.
Il est vrai que quelques groupes chiites ont collaboré avec l’Iran à une période passée. Il est vrai que quelques jeunes chiites ont rejoint peut-être les plans iraniens. Il est vrai aussi que les chiites saoudiens ont sympathisé avec la révolution iranienne. Mais nous pouvons dire avec confiance que la communauté chiite saoudienne n’a jamais exprimé, et sous aucune forme possible, une allégeance ou une loyauté envers n’importe quel pays ou état, qui soit en contradiction avec son allégeance et sa loyauté envers sa patrie. Nous pouvons affirmer aussi que les chiites saoudiens n’ont pris part à aucun projet politique comme celui dont a parlé Safar Al Hawwali ou le roi Abdallah, ou le président Moubarak ; et ce malgré qu’ils ont été toujours maltraités dans leur propre pays.
Je dois faire ici une distinction nécessaire entre le confessionnalisme (Ta’ifiyya) à contenu politico-ethnique, et le sectarisme (mazhabiyya) à contenu religio-ethnique. Je crois que la politique de discrimination a pour justification des choses sectaires mais son motif est plutôt confessionnel, qui est le même qu’on trouve derrière toutes les politiques de discrimination au Moyen Orient (Iran, Turquie, Syrie, Soudan, Egypte, etc.). La défiance de la majorité envers la minorité est l’aspect général de la culture politique dominante. Ceci se concrétise à deux niveaux :
a) la confusion du concept de citoyenneté comme base des droits constitutionnels des citoyens et des rapports entre société et état.
b) La valorisation agrandie du côté sécuritaire chez les dirigeants politiques quant à leur représentation du rapport société/état.
Il est de notoriété que l’état a un droit inaliénable dans la sauvegarde de l’ordre public. Ceci nécessiterait peut-être de mettre certaines personnes sous surveillance, et parfois de leur nier quelques droits. Mais il est aussi de notoriété que ce droit n’est pas absolu, sinon le principe de citoyenneté aurait disparu. Aucun gouvernement n’a le droit d’imposer des restrictions qui privent les citoyens de leurs libertés et de leurs droits naturels et civils, sans définir les personnes concernées par cette privation, sa durée et ses justifications.

Les efforts de réconciliation :
L’invasion iraquienne du Kuwait en 1991 a été le point décisif dans la relation entre l’état et la société au royaume. Les points majeurs de faiblesse du système politique et administratif du pays se sont dévoilés et étalés sur un plan élargi. Le royaume a connu pour la première fois des manifestations et à tous les niveaux réclamant le gouvernement d’adopter un programme sérieux de réformes politiques. Le même phénomène s’est passé aussi à propos des relations entre les chiites et le gouvernement. Avant et durant l’invasion du Kuwait, les iraquiens ont essayé vainement de convaincre les opposants chiites saoudiens de participer à un soi-disant projet qui comprenait l’occupation du Kuwait et de la région Est saoudienne pour contrôler les sources du pétrole et se libérer définitivement du pouvoir saoudien. Mais les chiites ont refusé fermement ces tentatives. Au contraire, un de leurs chefs historiques, le cheikh Hassan Saffar, a demandé au gouvernement de faciliter la participation des chiites aux forces armées dans la défense de leur pays au temps où la ville frontalière de Khafjy subissait des attaques iraquiennes. Le gouvernement n’a pas répondu à ces demandes mais cette position chiite a laissé un impact positif dans le gouvernement qui était en connaissance des démarches iraquiennes avec les opposants chiites saoudiens et craignaient que ceux-ci ne saisissent l’occasion pour accentuer leurs pressions sur le gouvernement. Suite à cette position le prince Mohammad, gouverneur de la région depuis 1982, et fils du roi Fahd, a invité les chefs chiites à une réunion pour leur transmettre la satisfaction du gouvernement et leur promettre que les choses vont s’améliorer dès la fin de la guerre qui s’enrageait aux frontières du nord du pays.
Le développement le plus significatif s’est passé en Septembre 1993 lorsque le roi Fahd a reçu une délégation des chefs du « mouvement de réforme », la principale organisation politique des chiites saoudiens, dirigée par l’écrivain de ces lignes. Le roi s’est engagé à répondre positivement et graduellement aux demandes discutées pendant les six mois qui ont précédé cette rencontre. Comme gage de bonne foi, des dizaines de prisonniers politiques ont été libéré, des passeports confisqués ont été remis à des centaines d’autres. Après cette rencontre historique le niveau de dialogue entre chiites et gouvernement s’est élevé et un climat de satisfaction et d’espoir a pris jour. C’est grâce à cet état de choses que des développements positifs ont pu s’affirmer, surtout dans le domaine de la sécurité.
L’attaque du 11 septembre était un autre point décisif dans l’histoire saoudienne contemporaine. Le gouvernement a découvert que le courant religieux qu’il avait entretenu depuis 1982, est devenu un ogre se préparant à dévorer le système social et le pouvoir. Les signes de cette situation sont apparus depuis 1992 mais le gouvernement se croyait à l’époque fort de son appareil de sécurité capable de faire face à ce danger. Mais l’émergence de Al Qaeda comme fer de lance du radicalisme religieux a fait découvrir que ce danger dépasse de beaucoup les expectations le concernant et les capacités réelles de le contrôler.
Cet incident a donné naissance à deux mouvements principaux :
a) le gouvernement s’est vu en obligation de refaire ses comptes concernant son alliance historique avec le courant fondamentaliste radical, alliance qui a profité à ce courant pour contrecarrer toutes les tentatives de modernisation, que ce soit au niveau gouvernemental ou celui non gouvernemental, et qui a donné le motif pour le durcissement du gouvernement face aux appels à la réforme.
b) L’émergence d’une nouvelle élite civile, indépendante du gouvernement, et représentative de plusieurs tranches sociales, demandant ouvertement et directement la réforme politique. A ce propos elle a présentée en Janvier 2003, au prince héritier (à l’époque, le roi Abdallah aujourd’hui) un mémorandum qui reflétait le mécontentement et la colère de l’élite face à l’atermoiement du gouvernement et son retardement injustifiable dans la réforme du système politique et de l’administration. Ce mémorandum, connu sous le nom de « vision pour le présent du pays et son avenir », est vite devenue un point de rencontre de toutes les tendances de la société saoudienne, surtout parmi les prédicateurs de la réforme. Les représentants des chiites ont participé activement à la rédaction du mémorandum et à sa propagation.
Dans un temps ultérieur 450 personnalités de l’élite chiite ont signé un autre mémorandum appelé « partenaires dans la patrie », présenté au prince héritier Abdallah en Avril 2003, et qui allait dans le même sens du premier en réclamant la participation des chiites avec les autres composantes du pays dans leurs aspirations et préoccupations, et demandant au gouvernement de bien saisir l’occasion pour se débarrasser de la politique de ségrégation et de discrimination. Le royaume a connu auparavant plusieurs courants réformistes mais qui sont restés, en général, restreintes à des cercles locaux, ou à des couches précises de la société. Tandis que les évènements de 2003 ont dévoilé la formation d’une élite qui représente toutes les régions et communautés confessionnelles et toutes les tendances, participant en une seule vision de réforme politique avec des objectifs à courte et à longue durée. Ce mémorandum renfermait un point qui demandait explicitement au gouvernement l’abolition de la discrimination envers quelques couches de la société comme les femmes, les chiites, et quelques tribus. Ce document chiite a constitué la première élaboration unanime d’une position chiite précise vis-à-vis le gouvernement. La liste des signataires comprenait la majorité des chefs religieux et militants politiques et dignitaires et académiciens, en plus des représentants des différentes couches sociales et des femmes et du secteur d’affaires. La délégation qui a porté ce document au prince héritier a reçu une promesse que le prince étudiera les propositions dont il soutient quelques unes. Dans un autre entretien avec le prince Sultan, troisième dans la hiérarchie du pouvoir, celui-ci a annoncé à la délégation que les grands de la famille royale a promulgué un projet de formation d’un conseil de Shoura par élection, et que à la quatrième séance en 2005 la moitié des membres sera élue et la deuxième moitié nommée, dans un sens transitoire dans l’attente de l’élection de tous les membres. Mais aucune de ces promesses n’a vue le jour. Ce qui s’est vraiment passé c’est que le roi a décidé de convoquer un congrès de dialogue avec les représentants des régions du royaume sur la relation entre état et société, et pour entendre la voix de tous, en vue de rédiger un document d’entente et de consensus national sur les réformes à adopter. Le deuxième congrès qui s’est tenu en Décembre 2003 était vraiment exceptionnel et promettant, car plusieurs personnalités influentes y ont participé, et il a réussi à tracer une nouvelle image de la société saoudienne comme société plurielle religieusement et culturellement. Mais les autres réunions annuelles de ce congrès n’avaient aucune importance, elles ont discuté beaucoup de questions toutes secondaires, et le niveau de discussion était très bas. Enfin de compte ce congrès s’est transformé en un département administratif gouvernemental portant le nom de « Institut du Roi Abdel Aziz pour le Dialogue National », qui n’a pas les moyens ni les mécaniques pour transformer ses recommandations en décisions. Le gouvernement de son côté n’a jamais annoncé son engagement à l’application de ces recommandations. C’est pourquoi les congrès de dialogue ont perdu leur importance et l’intérêt du public. Actuellement les réformateurs tendent à croire que le gouvernement a laissé tomber le dossier de la réforme. Quant aux chiites, beaucoup d’indices font croire à un recul des libertés religieuses après l’amélioration notifiée depuis 1993.

Que veulent les chiites ?
Depuis 2003 la question chiite et la discrimination religieuse sont restées au centre du débat public et national. L’année 2004 a connue une évolution importante quand le plus récent quotidien Al Watan (la patrie) a commencé à publier une série d’articles portant une critique contre des exactions commises par des prédicateurs et des juges ou des responsables gouvernementaux contre des citoyens chiites. C’était du jamais vu ou entendu auparavant ! Les dirigeants chiites ont continué leur campagne pour persuader les chefs de l’état de la nécessité de résoudre les questions de discrimination. Leurs espoirs de voir la clôture de ce dossier se sont vus renforcés avec l’arrivée au pouvoir du roi Abdallah fin 2005. Mais depuis, les choses n’ont pas évolué ; aucun changement n’a été enregistré durant les cinq dernières années. En août 2008 les dirigeants chiites ont présenté au prince héritier Sultan, un projet portant le titre de « l’intégration des chiites dans le système politique national », qui représente une carte de route pour la résolution du problème de discrimination, mais il n’a jamais été mis sur table pour discussion. Ce projet renfermait une conception complète sur le problème et une lecture sur ses causes et ses éléments et propose des solutions graduelles et non coûteuses politiquement. Les dirigeants chiites saoudiens reconnaissent que le remède au problème de discrimination n’est pas facile ou rapide. Mais encore il faut reconnaître qu’il se trouve des remèdes qui peuvent être efficaces à court et moyen termes. Il faut avant tout remédier à la problématique principale qui est celle de la relation entre les deux partis, c.a.d. le problème de la méfiance et du manque de confiance réciproque. Pour nous le seul chemin pour restituer la confiance est celui des discussions franches sur les sources d’inquiétude chez les deux partis et leurs propositions pour y remédier. Les chiites ne s’attendent pas à ce qu’ils récupèrent tous les droits dont ils réclament, mais au moins pourra-t-on arriver à un statut de normalisation qui serait un prélude à l’intégration des chiites dans leur système politique, au lieu de la situation actuelle comme minorité inquiète et inquiétante.
Il est d’une grande importance d’arriver à neutraliser l’élément religieux dans la relation entre chiites et gouvernement, celui-ci était depuis toujours cause de conflits. Il ne faut pas que le gouvernement traite ses citoyens chiites comme s’il représentait la secte wahhabite. Il faut avouer que le gouvernement a fait des pas énormes sur la voie de la distinction entre son appartenance sectaire et ses politiques économiques par exemple. Ceci prouve sa capacité à se libérer de l’influence sectaire dans ses rapports avec les chiites. Il faut aussi neutraliser l’élément sécuritaire dans ce dossier, car il ne faut jamais traiter les chiites comme s’ils étaient un parti hors la loi ou un fardeau sécuritaire, et ceci à cause de leur appartenance religieuse ou communautaire, ou bien à cause de la participation de quelques chiites dans des activités qui sont opposées au gouvernement.
Ce qui les chiites veulent est d’être traités comme simple citoyens, en égalité avec les autres citoyens du royaume, ni plus ni moins. Ils demandent l’égalité dans les chances et devant la loi, et l’acquisition de leur part légale dans les ressources du pays, et qu’ils portent par contre toutes les responsabilités qui leurs sont dues.
On peut mettre ce problème sur le chemin de la résolution, par l’un de deux moyens, ou par les deux ensembles :
a) un programme chronologique pour liquider toutes les manifestations et les phénomènes confessionnels dans les lois, les politiques, et les pratiques officielles. Ceci doit être rencontré par des initiatives concrètes de la part des chiites pour remédier aux sources d’inquiétude chez le gouvernement au niveau sécuritaire ou même religieux. Il faut que ce programme soit soutenu par des législations incriminant la ségrégation et précisant les procédures à appliquer dans le cas où elle est appliquée par des instances officielles.
b) Des procédures qui visent à lancer un choc culturel comme la nomination de chiites dans des postes importants ou symboliques (ambassadeurs, vice-ministres, doyens, directeurs, etc.…).ce genre de procédures ne résout pas le problème de discrimination, mais envoie un message fort à tout le monde qui dit que les chiites ne sont plus citoyens de deuxième degré, et que la ségrégation n’est plus tolérée ou protégée.

Dans tous les cas ceci tient à une décision courageuse de finir avec la page de la ségrégation confessionnelle et de remédier à tous les effets de sa longue pratique durant des décennies. Les chiites croient que la résolution de ce problème est possible dans les conditions locales et régionales actuelles, et avec les ressources dont l’état et la société possèdent. Les chiites sont prêts à fournir leur participation et la part qui leur est due. Ils attendent du gouvernement de faire le premier pas en acceptant de poser ce problème à la discussion avec eux ou sur le plan national. On a présenté plusieurs propositions pratiques jusqu'à maintenant et qui peuvent former une base de négociations sur ce sujet. La porte reste ouverte devant toute nouvelle proposition utile si le gouvernement décide d’ouvrir une discussion sérieuse.