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الأحد، 6 مايو 2012
II. Qui sont les libanologues ?
Antoine MESSARRA
En quatrième lieu, le libanologue est à la fois laïc et communautaire, avec une harmonie (insîjâm, suivant le terme de l’accord de Taëf) entre religion et État, non pas en tant qu’expédient ou pour concilier l’inconciliable, mais en conformité avec les normes des droits de l’homme, de la démocratie et des jurisprudences constitutionnelles internationales (voir L’Orient-Le Jour du samedi 6 août 2011).
Si quelqu’un n’a pas étudié et vécu de près les problèmes concrets de gestion démocratique du pluralisme religieux et culturel, il vaut mieux qu’il ne s’occupe pas du Liban. Qu’il prépare des Mémoires, des thèses, des ouvrages sur la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Argentine..., mais pas sur le Liban ! Et s’il n’a pas étudié et vécu de près la citoyenneté complexe ou composée au Liban et dans des sociétés plurielles dans une perspective de culture de légalité et de la chose publique, il vaut mieux qu’il épargne aux Libanais son imaginaire civique.
En cinquième lieu, être libanologue, c’est prendre enfin le Grand Liban au sérieux, suivant la finalité même de l’accord de Taëf. Chacune des grandes minorités, maronite, sunnite, chiite, druze..., véhicule une psychologie historique de prédominance, de prééminence même symbolique, qui explique des comportements d’aujourd’hui, psychologie le plus souvent manipulée suivant les conjonctures par des aventuriers, des parieurs et des imposteurs.
L’accord de Taëf et le préambule de la Constitution : « Le Liban, patrie définitive pour tous ses fils » règle un débat historique que l’expérience de la souffrance et des guerres a, et doit, enfin réglé.
En sixième lieu, le libanologue étudie l’État libanais en tant que garant de l’existence même des communautés, toutes minoritaires. Si l’État libanais est faible ou affaibli, c’est à la fois à cause des pressions et allégeances extérieures, et aussi de la culture politique de Libanais qui sont davantage des sujets que des citoyens. Ceux qui attendent l’État fort comme un appartement meublé, clé en main, au lieu de soutenir l’État fort par sa légitimité populaire, reproduisent la symbolique régionale de l’État totalitaire, fort par lui-même, in se, et non l’État démocratique en tant que pont sur lequel passent tous les citoyens sans exception. Dans cette perspective, le président Fouad Chéhab est un des plus grands libanologues. C’est pourquoi, il a été le plus incompris !
En septième lieu, le libanologue considère que le Liban est un pays qui a un sens, sans le chauvinisme des 6 000 ans d’histoire, sans dialogue cosmétique islamo-chrétien, sans le sloganisme de la répétition du « Liban-message »... Être porteur de sens, surtout dans la mondialisation d’aujourd’hui, les replis identitaires, les guerres par procuration, la sionisation rampante, la nécessité de sauvegarder le tissu pluraliste religieux arabe..., c’est considérer que la patrie n’est pas un hôtel cinq étoiles dont on attend un service haut standing. C’est s’occuper du pays malade, être citoyen non grognon et rouspéteur, mais libre, actif.
Dans toutes les sciences humaines sans exception, quand elles ne sont pas réduites à des sciences sociales purement quantitatives, pour comprendre vraiment, il faut aimer. Si vous n’aimez pas le Liban, si tout vous déplaît, si vous en avez assez (et vous avez raison) et vous êtes fatigué, il vaut mieux éviter aux autres des démangeaisons cérébrales sans impact sur le réel.
Le libanologue ne fait jamais de la surenchère (muzâyada) considérant au départ que le Libanais est à la fois un et pluriel. Nous avons des croyances religieuses différentes, des psychologies historiques différentes, et pas nécessairement oppositionnelles, et même complémentaires. Qui est notre ennemi commun ? C’est réglé. La surenchère, ça suffit ! Qui est plus arabe que libanais ?
Ça suffit ! Nul autre arabe ne nous donnera des leçons d’arabité et d’antisionisme.
Je suis moi-même laïc et communautaire, libanais et arabe, j’harmonise dans ma vie et mes comportements religion et État, pratique et vit l’ouverture, mais avec la plus grande prudence dans les relations extérieures, et considère, avec l’imam Moussa Sadr, que « la paix au Liban est la meilleure forme de guerre contre Israël... », Le Liban même étant par essence l’antisionisme.
La première tâche des facultés des sciences humaines (vraiment humaines), dans une étape de reconstruction culturelle et mentale, est de construire une libanologie scientifique et pratique, sans les clichés sursaturés du passé et à la lumière de l’expérience libanaise endogène et des apports les plus récents des recherches comparatives sur la gestion démocratique du pluralisme religieux et culturel.
Le chantier libanais interpelle l’intelligence, une intelligence plurielle, capable d’intégrer les particularismes et d’opérer la synthèse. Hors des clichés rabâchés dont nous sommes déjà ultrasaturés. Qui sont les libanologues ?
Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel, professeur