الأحد، 6 مايو 2012

I. Qui sont les libanologues ?

Antoine MESSARRA Pour comprendre un pays, il y a certes des classifications et des normes générales, mais aussi des spécificités qui font une identité intégrée dans la culture nationale, autant savante que populaire. Les Libanais, dans un environnement sioniste hostile et un environnement arabe totalitaire ou en transition démocratique, avec une histoire millénaire à la fois de convivialité et de « guerres pour les autres », vont-ils enfin, en tant que universitaires, chercheurs, intellectuels, journalistes, acteurs sociaux et idéologues de tout bord, savoir et comprendre que signifie le Liban ? Le professeur Antoine Seif a, le premier à mon sens, employé le terme libanologue pour qualifier le bénéficiaire, en 1997, du prix annuel du Mouvement culturel d’Antélias : « Les vétérans de la culture au Liban ». Les libanologues sont moins nombreux qu’on ne le pense. Le cheikh et le maire du village comprennent peut-être mieux le Liban que l’universitaire et chercheur chevronné. C’est l’aliénation, au sens marxiste, qui guette, à propos de tout problème libanais, l’intellectuel qui a cogité des catégories mentales de confessionnalisme, d’anticonfessionnalisme, de communautarisme, de laïcité, d’État nation et d’État fort, de modernité, de progressisme..., alors que le Liban, par essence et par nature, est une synthèse. Tous ceux qui ont écrit et écrivent sur le Liban ne sont pas nécessairement des libanologues. Qu’on accuse ceux qui se penchent sur la science du Liban, ou libanologie, de confessionnels, traditionnels, conservateurs, partisans du Liban de papa, de libanistes, d’antiarabisants, d’antiprogressistes..., cela était et est encore aujourd’hui bien fréquent, depuis Kazem el-Solh et son célèbre Manifeste de 1934, Michel Chiha, les pères fondateurs, dont Riad el-Solh, Béchara el-Khoury, Michel Asmar et son Cénacle libanais, l’imam Moussa Sadr, l’imam Mohammad Mehdi Chamseddine... pour ne parler que de ceux qui ne sont plus de notre monde. Un esprit, si versé dans les sciences humaines, mais cloisonné, formaté par un enseignement unidimentionnel, même dans les universités les plus prestigieuses du monde (surtout les plus prestigieuses !), n’est pas libanologue. Vous avez alors des tonnes d’écrits, en quantité plus qu’en qualité, sur le confessionnalisme et l’anticonfessionnalisme, la laïcité, la séparation entre l’État et la religion, le nationalisme arabe, l’unité arabe... Presque toutes ces notions se transforment en slogans qui se répètent depuis la proclamation du Grand Liban en 1920 comme un disque et, aujourd’hui, un CD érodé, même dans des universités dites prestigieuses. Sept conditions Qui sont les libanologues ? Il ne s’agit pas d’énergumènes, ou de sociologues et d’anthropologues, comme si la sociologie et l’anthropologie sont des sous-spécialités, mais bel et bien de juristes, de constitutionnalistes sérieux, de philosophes, de politiques au sens d’Aristote. Tout d’abord, le libanologue sait ce qu’est le pacte national libanais, appelé dans d’autres pays diète, alliance, covenant, junktim..., en historiographie comparée et en droit constitutionnel comparé. Qu’il approuve ou qu’il désapprouve, c’est un autre problème. Mais les pactes ont leur théorie et aussi leurs conditions. Il ne s’agit pas de processus hors la loi. En deuxième lieu, le libanologue sait qu’il y a des régimes constitutionnels dans le monde qu’on fourrait autrefois dans la catégorie poubelle de « régimes d’assemblée » et qui sont pour la plupart, en fait, des régimes parfaitement parlementaires, avec toutes les conditions des régimes parlementaires, mais mixtes, parce qu’ils associent des processus à la fois compétitifs et coopératifs : quota de représentation ou discrimination positive, cabinet de large coalition communautaire, fédéralisme personnel ou territorial... En troisième lieu, le libanologue, quand il étudie et vit le Liban dans les relations internationales, analyse et développe une stratégie et une culture de prudence dans les relations extérieures du Liban. Politique d’hostilité, de résistance et de prudence à l’égard de l’ennemi sioniste, mais aussi culture de prudence, à l’égard de tous les frères, sœurs, cousins, arrière-cousins et toute parenté extérieure réelle ou fictive. C’est un isolationnisme progressiste. Pas l’isolationnisme (in’izaliyya) ni le progressisme (taqaddumiyya) des années de guerre, mais prudence, au sens d’Aristote, dans les relations extérieures. Les Israéliens ont écrit des tonnes de livres sur le coût de leur invasion du Liban, Beyrouth étant la seule capitale arabe qu’ils ont occupée et qu’ils ont quittée précipitamment. Les Palestiniens ont tant écrit sur les coûts de leur immixtion dans les affaires intérieures libanaises. Les responsables syriens parlent de leurs sacrifices au Liban. Quand les Libanais vont-il épargner aux autres, y compris les forces multinationales, coûts et sacrifices ? Cela implique que le Libanais se libère de son besoin atavique et psychiatrique d’une Sublime Porte, toute Sublime Porte, en faveur même de la patrie libanaise et de l’arabité.