السبت، 2 فبراير 2013

Syrie : le silence des intellectuels français


Jean-Pierre Filiu Universitaire Publié le 23/01/2013 http://blogs.rue89.com/jean-pierre-filiu/2011/12/04/la-poussee-islamiste-dans-les-urnes-nannonce-pas-un-automne-integrist-0 Les mouvements révolutionnaires dans le monde arabe n’ont jamais suscité un enthousiasme débordant dans les milieux intellectuels de France. L’ombre de Michel Foucault, succombant en 1979 aux mirages khomeynistes, a pu inhiber bien des élans de solidarité. Mais qu’on était loin du lyrisme suscité par la chute du mur de Berlin. Une révolution dépréciée On s’enflammait alors pour nos « frères » européens, tandis que les Arabes étaient irrémédiablement « autres ». Il ne restait qu’à réduire leur combat collectif aux variations saisonnières d’un « printemps » pour déjà anticiper « l’automne » islamiste et « l’hiver » intégriste. Et leur « thawra », leur « révolution » dans tous les sens du terme, était ravalée au rang de « révolte » sans lendemain, de « contestation » condamnée à la récupération. La manipulation s’aggrava, dans la cas syrien, de la conjonction de courants disparates : • les « experts » en (contre) terrorisme, pour qui Al Qaeda représente moins une réalité physique que la garantie d’une rémunération stable de leur « expertise » ; • les tenants de la « protection » des chrétiens d’Orient (mission censée être historiquement assignée à notre pays), aveugles au point de lier le sort de ces minorités au destin des despotes ; • les « anti-impérialistes », égarés dans un Orient trop complexe pour leur bipolarisme ravageur. Si on ajoute à cela le très tricolore « on nous cache tout, on nous dit rien », les ingrédients étaient réunis pour une querelle bien française, où la Syrie n’était que prétexte à vider nos rancœurs nationales. Le fait que la dictature syrienne traque avec constance toute forme d’information indépendante aboutissait à jeter le doute sur les sources alternatives et engagées. Cette censure, passive ou active, permet de renvoyer dos à dos les protagonistes d’une « guerre civile » culturalisée, voire folklorisée. Silence médiatique Durant un dimanche d’août 2012, le silence médiatique sur le massacre de Daraya m’amena à lancer un cri d’alarme sur le carnage en cours depuis plusieurs jours. Je me gardais bien de diffuser les images (atroces) des charniers découverts et je précisais que les chiffres avancés par l’opposition (de 320 à 633 victimes) étaient « absolument invérifiables ». Mais ces précautions de forme comme de fond ne m’épargnèrent pas une rafale de réactions d’une agressivité inouïe. Je passe sur les amabilités du genre « BHL au petit pied », « porte-parole de l’Otan » et « agent du Qatar ». Le commentaire au fond le plus révélateur m’accusait de mettre en scène « les cow-boys et les Indiens ». Alors que je n’ai cessé de rapporter et de dénoncer les exactions perpétrées par la guérilla syrienne, j’étais suspecté de travestir les faits, pourtant aussi têtus en Syrie qu’ailleurs. Comme si la dégradation de la réflexion critique conduisait fatalement à idéaliser des « gentils » révolutionnaires contre des « méchants » agents de la dictature. De tels procès d’intention sont une insulte à la pensée libre. En ce sens, la tragédie syrienne révèle le degré de provincialisation d’une partie de notre classe intellectuelle, accaparée par ses polémiques hexagonales. Le peuple syrien saura se libérer par ses propres forces et c’est bien là toute sa grandeur. La révolution vaincra, à Damas et à Alep, non pas contre ses détracteurs français, mais sans eux. Espérons qu’ils émergeront de leur impasse narcissique avant la prochaine révolution arabe.